Entretien avec la Pr. Corinne Hubinont, médecin et patiente

Corinne Hubinont

Août 2022, par D.Léotard

Corinne Hubinont, récemment retraitée, a vécu un parcours professionnel d’exception. Après avoir été diplômée médecin en 1980 (ULB), elle se spécialise en gynécologie-obstétrique. En 1987, elle suit son mari à Londres où elle fait des recherches sur les grossesses à risque et présente une thèse en médecine fœtale. Revenue en Belgique, elle devient au cours du temps professeur d’obstétrique à l’UCL, co-directrice du service d’obstétrique aux Cliniques Saint-Luc, responsable de l’Unité de recherche en obstétrique… En parallèle, elle publie des ouvrages de référence à destination du grand public à propos de la grossesse. Son métier est sa passion et elle la vit à 100 %, en parallèle avec sa vie de famille et l’éducation de ses 2 fils. Tout au long de sa carrière, ses travaux sont récompensés par des prix prestigieux. Elle est nommée « Femme d’exception 2011 » par le Sénat belge, puis par différentes instances. En 2014, elle est anoblie au titre honorifique de Baronne par le Roi Philippe.

2014, c’est aussi l’année du malheur pour elle qui perd son mari inopinément d’un problème cardiaque. Un an, plus tard, c’est une autre perte difficile qu’elle subit, celle de son Papa. Bien qu’elle sente un épuisement physique et mental la gagner, elle continue, dit-elle « à mettre toute mon énergie pour mener à bien son travail à l’hôpital, donner mes conférences à l’étranger, organiser une soirée caritative pour ma fondation, des défis qui, je l’espérais, allaient atténuer ma détresse. »
Quelques mois plus tard, son intuition que « quelque chose n’allait pas » se confirme : elle souffre d’un cancer du sein. Une tumeur qui est malheureusement diagnostiquée assez tard par une RMN, après une mammographie qualifiée de normale… Puis vient ce qu’elle qualifie de pire moment de sa maladie, celui de l’annonce du traitement : il faudra pratiquer l’ablation de son sein. Elle n’en parle pas à ses proches, elle est sous le choc de la lourdeur de ce traitement auquel elle ne s’attendait pas. C’est difficile d’aborder cette question avec ses fils, elle se tait dans un premier temps, postpose l’intervention puis décide de s’y soumettre, mais dans un hôpital où elle sera traitée en tant que patiente « anonyme ». « J’ai appris progressivement à dépasser une pudeur mal placée, j’ai appris à parler avec moins de gêne de ma maladie, j’ai compris que c’était difficile de tout garder pour soi, je me suis fait accompagner psychologiquement pour réaliser qu’il convenait de ne pas ouvrir tous les tiroirs en même temps : celui de la maladie était le seul à ouvrir pour le moment. »
Elle écrit son journal de bord avec la maladie, les traitements… dans la peau d’une patiente. Puis, les choses vont mieux, elle bénéficie d’une reconstruction mammaire « Cette mastectomie qui fut le pire moment émotionnel pour moi est devenu un beau moment car je trouve que j’ai une plus belle poitrine qu’avant », dit-elle.
Aujourd’hui, Corinne Hubinont est en rémission. Elle a complété et publié son carnet de bord avec le cancer.

Carnet de survie

« Je me suis dit que le récit de ma maladie, qui avait vampirisé ma vie durant des mois, pourrait peut-être être utile aux femmes confrontées aux mêmes problèmes. J’ai repris mon témoignage et y ai joint les informations pratiques glanées çà et là pendant ce voyage au pays du Cancer. En annexe, j’ai ajouté des repères théoriques simplifiés afin de mieux éclairer le pourquoi et le comment de cette maladie et de sa prise en charge. J’espère de tout cœur que cet ouvrage permettra aux malades, à leur famille – et, pourquoi pas, à mes collègues – de voir une autre facette du cancer du sein et de découvrir ce qui m’a aidée dans ce parcours difficile. »

Une épreuve dont on ressort différente

« Je n’irais pas jusqu’à dire que l’épreuve de la maladie fut une bonne chose mais je me sens grandie de l’avoir affrontée. J’ai par exemple compris l’importance de m’occuper de moi, de mon corps, de ma santé, physique et mentale. J’ai modifié mon rythme de vie par exemple. Je m’octroie du temps rien que pour moi, à me promener dans la nature ou en lisant dans un canapé. Je pratique plus de sport aussi et je fais d’avantage attention à mon alimentation : je prends le temps d’aller acheter de bons produits et de les préparer, j’évite la nourriture industrielle, je suis attentive aux apports en vitamines et minéraux, en vitamine D en particulier, je fais attention aussi dans le choix de produits d’hygiène ou de beauté. Je me suis intéressée et ouverte à des techniques de relaxation, l’hypnose par exemple. 
Cette proximité avec la maladie m’a rendue plus humble, personnellement et professionnellement. J’ai pris des cours de communication par exemple, pour pouvoir parler « vrai » et avec empathie. Mes « vieux » patients ont d’ailleurs remarqué un changement avant-après.
Et puis, le fait d’avoir été « médecin-patiente » m’a fait comprendre combien les paroles des soignants sont importantes. Les gens sont plus informés aujourd’hui, ils en connaissent plus sur leur maladie mais il faut répondre à leurs questions, leur parler honnêtement de la réalité, en détails mais sans être trop paternaliste ni hautain. J’ai aussi compris qu’il fallait considérer les médecins malades comme des vrais patients. D’autre part, j’ai réalisé l’importance de l’accompagnement par le personnel soignant dans son ensemble ; les infirmières « veillent » vraiment avec beaucoup d’empathie sur les malades et cela mérite d’être mieux considéré que cela ne l’est. »

Messages personnels aux lecteurs de MHML

« Je voudrais tout d’abord vous dire combien il faut avoir confiance en la médecine. Chaque jour voit les connaissances en cancérologie progresser et les traitements sont toujours plus performants, mieux tolérés, plus individualisés.
D’un côté plus personnel, il faut « y croire » si les médecins vous le disent, conserver une pensée positive. Et puis, c’est sans doute l’occasion d’avoir une réflexion sur le bonheur, sur le sens de votre vie, de découvrir les bienfaits de petites choses simples, de moments partagés, et d’en profiter. »



FA-11209442 - 06/06/2024

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