Le professeur Axel Kahn, l’homme qui n’avait pas peur de la mort
Retrouvez l’interview posthume d’Axel Kahn, président de la ligue nationale contre le cancer française
Retrouvez l’interview posthume d’Axel Kahn, président de la ligue nationale contre le cancer française
Il m’avait tellement impressionnée, lors de ses posts réguliers sur les réseaux sociaux pendant sa maladie et à l’occasion de son passage sur le plateau télévisé de « La grande librairie », que je lui avais adressé une demande d’interview pour cette rubrique. Il m’a (ou un proche ?) répondu qu’il attendait la mort et n’était pas capable de s’exprimer de manière cohérente en raison de ses soins palliatifs. C’est donc à titre posthume que je lui consacre cette rubrique, destinée à mettre à l’honneur de « belles personnes » qui enrichissent la vie des autres.
Le docteur Axel Kahn, médecin et chercheur en génétique, président de la Ligue française contre le cancer et auteur de nombreux livres, s’en est allé le 6 juillet dernier des suites d’un cancer. Jusqu’au bout, il aura communiqué de façon honnête et digne son vécu de la maladie mais aussi ses beaux et joyeux messages humanistes et son amour de la vie.
Tel était le message qui terminait la lettre que son père lui avait adressée avant de se suicider en 1970. C’est ce qu’il va tenter de faire toute sa vie : utiliser sa raison pour se déterminer des missions, puis agir en restant humain, en aimant les autres comme ils sont.
Cela devient de ses propres dires l’itinéraire intellectuel de sa vie : comment être humain sans l’hypothèse du bon Dieu, comment ressentir la réciprocité avec les autres, accepter la fragilité humaine, accepter sa condition émotive ? Il combat pour que l’éducation, à l’image de la sienne, soit essentielle, permette aux jeunes de s’ouvrir au doute et à la tolérance, pour leur insuffler l’amour de la liberté de conscience mais aussi l’amour et le sens de la vie.
Axel naît le 5 septembre 1944 au Petit-Pressigny (Indre-et-Loire). Il est le fils du philosophe Jean Kahn et de Camille Ferrio. Il est le frère du journaliste Jean-François Kahn (né en 1938) et du chimiste Olivier Kahn (1942-1999). Il passe les premières années de sa vie aux bons soins de sa nourrice Léontine Moreau dans le village du Petit-Pressigny. Après cette prime enfance campagnarde, on lui fait rejoindre, en 1949, sa famille rue des Plantes à Paris où son père dirige l'école privée Godéchoux. Ses parents se séparent en 1954, sa mère tombe malade et Axel est envoyé en pension. Il perd la foi à 15 ans alors qu'il est pensionnaire en classe de seconde dans un lycée jésuite mais reste attaché aux valeurs chrétiennes.
Comme son père l'avait fait dans sa jeunesse, il s'engage à cette époque auprès du Parti communiste et devient, en 1961, secrétaire des jeunesses communistes du lycée. Il fait des études de médecine et devient interne des Hôpitaux de Paris, puis se spécialise en hématologie. En 1969, il épouse Viviane Seillon, avec qui il aura trois enfants, Jean-Emmanuel, Isabelle et Cécile.
Après un doctorat en Sciences, il devient chercheur à l'Inserm avec une spécialisation en biochimie et intègre en tant que chargé de recherches le futur Institut Cochin tout en conservant son activité de médecin à l’hôpital. Il est également membre fondateur et le rédacteur en chef, de 1986 à 1997, de la revue scientifique franco-québécoise Médecine/sciences. Toutes ces années, il publie les résultats de ses recherches dans de prestigieuses revues scientifiques. Il est, entre autres, fait Docteur honoris causae des universités de Louvain et de Liège.
En 2001, il publie son premier livre avec Albert Jacquard « L’Avenir n’est pas écrit », premier ouvrage d’une longue série de livres de vulgarisation sur la génétique et de romans. En juin 2019, il est élu président de la Ligue Nationale Contre le Cancer. Entretemps, il est devenu membre du parti socialiste et s’implique volontiers dans la vie politique, il n’hésite pas à exprimer haut et fort ses opinions sur les sujets d’éthique scientifique et d’écologie. Et dernièrement, sur l’épidémie de COVID-19.
« Marcheur amoureux de la nature depuis mon plus jeune âge, j’ai traversé la France à pied par deux grandes diagonales d’environ deux mille kilomètres chacune : de Givet dans les Ardennes à la frontière belge jusqu’à la frontière espagnole dans les Pyrénées puis la côte basque en 2013. De la pointe du Raz à la frontière italienne dans les Alpes puis Menton en 2014. » raconte-t-il dans le blog qu’il crée alors pour publier ses « Pensées en chemin ». Le premier pas vers une communication d’un type nouveau, celle des messages courts et des selfies publiés sur les réseaux sociaux.
Une semaine après l’annonce de son prochain retrait de ses fonctions de président de La Ligue contre le cancer, à cause de la maladie « qui s'est aggravée récemment », il annonce : « Je vais mener deux combats, un totalement personnel, que je vais mener seul, contre ma maladie. Mais puisqu’il me reste un peu de temps, je vais essayer d’optimiser le temps de vie qu’il me reste, parce que ce que je fais, la manière dont je le fais sont plus importants que jamais. C’est vraiment un moment intéressant de ma vie ». Dans sa « Chronique apaisée de la fin d’un itinéraire de vie », il publie chaque jour des selfies, un blog relatant ses journées à l’hôpital, ses pensées, des messages d’encouragement et de compassion avec les autres malades, des sourires fatigués mais intenses. Il exhorte les jeunes et ses successeurs à la Ligue: « Aidez-moi, continuez mon combat, je compte sur vous. Notre combat contre le cancer est juste, notre combat pour les personnes atteintes du cancer est éminemment juste. »
Et puis, il parle de la mort en remerciant la vie de l’avoir rendu immensément heureux. Il déclare « n’avoir pas peur de la mort, y être indifférent puisqu’elle n’existe pas. Ce qui existe, c’est la vie. La mort n’est pas un événement en soi, c’est la fin de la vie, c’est elle qui est importante. Si elle a été belle, utile, heureuse, qu’on a réalisé ce qu’on voulait faire, la mort n’est rien. »
Dans ses derniers tweets, il annonce son départ prochain, tout en s’excusant : « La douleur est en effet la perte de toute assurance, de toute sérénité, de presque tout espoir en la possibilité d’un moment heureux. Sus à la douleur, elle est pour l’essentiel maîtrisable par des moyens pharmacologiques, psychique, mystique …. Cependant, difficile sans la morphine et l’opium. L’apaisement de la douleur n’est pas compatible avec le respect scrupuleux de la vigilance et la certitude. Sous réserve d’exceptions à confirmer, la souffrance menace la sagesse. Son traitement aussi…mais il apaise au moins la souffrance. En ce qui me concerne, je sais qu’Axel le loup qui se veut sage peut en fait divaguer. Axel le loup souffrant est aussi un loup amoindri. A cela il préfère un loup absent. Vaguement divaguant, sachez-le. Pour Axel le loup, il n’est pas de vraie sagesse soumise à la tyrannie de la douleur. On en peut déceler parfois dans la divagation engendrée par les moyens de l’atténuer. DÉSOLÉ, JE N’AI RIEN D’AUTRE À VOUS OFFRIR QU’UNE SEMBLABLE INCERTITUDE qui m’a bien entendu imposé, pour la raison que je craignais, de mettre un terme à ma « Chronique apaisée de la fin d’un itinéraire de vie. »
Retrouvez le blog d’Axel Kahn sur https://axelkahn.fr/blog/